Le témoignage Claire sur son avortement : « Aucune femme ne devrait vivre ça »

Le témoignage Claire sur son avortement : « Aucune femme ne devrait vivre ça »

Claire est venue vers nous pour nous communiquer son témoignage sur son avortement. Nous avons été très touchés par son histoire et nous pensons qu’elle pourrait parler à d’autres femmes qu’elles aient connu cette épreuve ou pas. Elle nous a raconté la façon dont elle a appris qu’elle était enceinte, les réflexions qu’elle s’est faite à ce moment là, la situation dans laquelle elle était et bien sûr l’acte en lui-même.

Aujourd’hui, Claire est en colère contre le gouvernement, contre les “mon corps, mon choix”, car si l’avortement reste un droit, la question n’est selon elle pas là. Ce qu’elle aimerait défendre, ce sont les femmes qui sont confrontées à ce choix, leur dire à quel point ce n’est pas facile, les mettre en garde, car personne ne nous prépare à ce que c’est qu’un avortement.

Une histoire qui mérite d’être entendue, comprise et partagée.

 

Si je prends la parole aujourd’hui, c’est parce que je sais que beaucoup d’adolescentes comme de femmes ont vécu la même histoire que moi. Que malheureusement peu d’entre nous arrivent à prendre la parole sur ce sujet qui est encore très sensible voire par peur du regard des autres.

 

Les premiers soupçons :

Pour vous situer un peu le contexte, je suis tombée enceinte en étant protégée (préservatif et pilule). J’ai appris que j’étais enceinte à 4 semaines d’aménorrhées. J’avais utilisé un test de pharmacie, ce dernier n’affichait rien, je suis retournée à la pharmacie et la responsable m’en a fait faire un autre dans son arrière salle. Quand je suis sortie elle m’a dit : « Félicitations ! Vous êtes enceinte », en même temps j’avais l’âge : 25 ans. J’ai senti que mes jambes ne me portaient plus.

Accompagnée d’une amie, je suis partie à l’hôpital, pour être sûre que le test ne mentait pas. J’ai attendu dans une salle d’attente pendant 2h à côté d’une femme sur le point d’accoucher à qui on n’avait pas trouvé de chambre, elle avait l’air de vraiment souffrir et faisait des exercices respiratoires. Au bout de 2h, je fais une analyse d’urine qui diagnostique que je ne suis pas enceinte. Etrange.

À ce moment-là, je décide de prévenir mon petit-ami. Comme je pensais qu’il s’agissait d’une erreur, je me suis dit que de le prévenir après un bilan négatif, ça ne le ferait pas trop stresser. Au moment où je lui ai dit, son comportement a complètement changé. Il me disait qu’il devait s’agir d’une erreur, que le bébé ne pouvait pas venir de lui (bah oui c’est bien connu, j’ai une camionnette dans le bois de Boulogne et les clients, c’est pas ça qui manque !). J’étais sans voix… Et là, il m’a asséné le coup final : « De toute manière, t’es une fille intelligente, tu sais comment expulser le problème »… Autant vous dire, que je n’avais pas franchement à l’idée d’avoir un bébé, mais le fait qu’il parle de mon corps et potentiellement de mon enfant qui commençait à se créer en moi de cette manière-là, ça m’a rendu furieuse. J’ai mis fin à l’instant à la relation devant les yeux éberlués de la femme enceinte qui continuait de souffler très fort.

 

Quand j’ai appris que j’étais vraiment enceinte :

Un peu après on m’a embarqué pour une échographie pelvienne. Un de mes plus grands moments de solitude. On vous rentre une espèce de tube en métal tout froid dans le vagin et attention si vous vous plaignez, car vous risquez de vous prendre le genre de réflexion qui vous font comprendre que si vous avez su ouvrir les cuisses pour tomber enceinte, vous n’aurez pas trop de problèmes pour une échographie, alors il ne va pas falloir jouer la chochotte. Et là, l’ascenseur émotionnel infligé par la phrase du médecin à double tranchant : « Et oui effectivement vous êtes bien enceinte, pas de doute ! (grand sourire à l’appui) Regardez, vous voyez ce petit œuf c’est le bébé. Si vous voulez avorter, il faut me le dire tout de suite pour que je puisse vous donner un papier et que les 7 jours de délais de rétractation commencent. Je préfère vous prévenir qu’au stade où vous en êtes, il va falloir se décider très vite car après ce sera l’aspiration ! ».

Donc là globalement dans ma tête, c’est le bordel, le choc émotionnel : j’ai vu ce qui potentiellement était le début de mon enfant, et dès notre 1ère rencontre je sais que potentiellement, il a 50% de chances de mourir parce qu’apparemment, je n’avais que quelques jours de réflexions devant moi pour prendre une décision qui va faire complètement changer ma vie… Les dés sont sur la table. Pendant ce temps-là, le médecin en question me sortait tous les papiers utiles pour l’IVG. Je n’avais pourtant rien dit. Je ne lui jette pas la pierre, vu la tête abasourdie que je devais tirer, elle a dû préférer me donner toutes les informations. J’avoue que deux ans plus tard, en ayant mûri ce souvenir, je me dis que ça a énormément joué dans ma prise de décision.

 

Le délai de rétractation :

J’ai décidé de prendre la feuille en me disant le fameux « au cas où » et que de toute façon, j’avais toujours 7 jours pour me rétracter. Sauf qu’à partir du moment où tu prends le papier, tu te conditionnes directement à ce qui va se passer ensuite. Parce que tu passes ton temps à stresser et à compter les jours, parce qu’il faut trouver un hôpital et prendre des rendez-vous pour être sûr d’avoir une place. Parce que tu es obligé de poser des actes concrets qui te mènent à l’IVG et que tu dois aussi t’organiser vis-à-vis de ton travail. Et d’actions en actions, tu avances vers le jour J.

Au moment où tout ça est arrivé, ma situation était très compliquée : je travaillais dans une entreprise où j’effectuais pas mal d’heures supplémentaires, les soirs et les weekends. Ça faisait déjà 3 ans et demi que j’attendais une promotion que je devais recevoir 2 semaines plus tard. Va annoncer à ton boss que t’es enceinte à ce moment-là ! Il va penser au congé maternité et ma promotion va me passer sous le nez. Parallèlement à ça, je venais de mettre un terme à ma relation avec le père de l’enfant. J’étais donc toute seule pour élever un bébé et je me demandais comment j’allais lui expliquer plus tard que son propre père voulait que je « l’expulse ». J’avais un salaire confortable mais qui ne me garantissait pas non plus d’élever un enfant dans les meilleures conditions. Je me posais mille questions et avec le stress tous les points négatifs me venaient en tête.

Être enceinte ça devrait être une joie et aujourd’hui, je ressens beaucoup de regrets de ne pas l’avoir vécu comme tel. Je me dis que ma décision a été basée sur la peur et le stress. Je regrette de ne pas avoir eu le temps de découvrir et de ressentir ma grossesse. Je me demande pourquoi lors de cette 1ère consultation le médecin n’a pas branché le son de l’appareil qui servait à l’échographie. Je pense que si j’avais écouté le rythme cardiaque de la petite cellule qui se trouvait dans mon ventre, j’aurais pu me sentir prête à tout risquer pour la garder. Voir un point sur fond noir et blanc, c’est quelque chose qu’on mentalise, mais quand tu entends des battements, tu comprends que tu es face à quelque chose de vivant.

Parallèlement à ça, j’ai eu l’immense chance d’avoir un frère hyper protecteur, qui me disait que peu importait ma décision, il serait là pour m’aider. La réalité, c’était qu’il était père d’un enfant, que sa femme était enceinte du 2ème et que leur famille ne tenait que sur son propre salaire… Je me voyais mal lui demander de l’aide.

Mes parents étaient très compréhensifs aussi ils m’ont aussi collés pas mal de peurs à ce moment-là : « avoir un enfant toute seule ? », « et si tu rencontres quelqu’un qui te plaît que va-t-il penser ? », « Avec tes heures de travail … » Bref je m’arrête là mais globalement vous l’aurez compris, je me suis pris le tsunami de l’angoisse en pleine figure et je n’avais que 7 jours pour réfléchir à tout ça. Ma maternité devenait synonyme de cauchemars vu les réactions de mon entourage. Mes amis je n’en parle même pas, avoir un enfant sans le père : impensable.

Et malgré tout ça, je savais que j’étais enceinte… Je me rappelle que j’avais des réflexes de me toucher le ventre, ou même de penser à ma vie avec cet enfant, de me demander si c’était un garçon ou une fille (j’étais sûre à 80% que c’était un garçon, je mettais de la moutarde Amora Piccalilli dans tous mes plats à outrance c’était franchement dégueu et je ne sais pas, je le sentais…). Dès que je prenais conscience de ces gestes, je m’insultais mentalement d’hypocrite, parce que la procédure d’accès à l’IVG était déjà bien entamée. Tout se mélangeait dans mon esprit, trop d’infos contradictoires : « tu aimes te sentir enceinte mais il y a deux minutes, tu prenais rendez-vous à l’hôpital… » Alors je me forçais à ne plus penser du tout, à ne plus y réfléchir, sinon j’étais certaine que ma tête allait exploser.

C’est comme ça que je suis entrée dans la 2ème étape vers l’IVG, celle où je ne me suis plus laissée le choix. Au vu de tous les conseils que je recevais, je me sentais encore plus seule. Alors j’ai fait l’autruche et je me suis laissée porter par les professionnels de santé.

 

A la fin des 7 jours… L’avortement :

Lorsque le jour J est arrivé, je suis allée à l’hôpital, seule. J’avais déjà eu un 1er entretien avec une première prise de médicament deux jours avant qui ne m’avait donné aucune douleur physique. Paradoxalement, le fait d’agir normalement et de continuer à faire ma petite journée en sachant que j’étais en train de mettre un terme à ma grossesse, ça me rendait dingue. J’étais dans la colère. Je remettais tout sur mon ex et sur le fait que je n’avais pas le choix. J’essayais de me persuader que c’était la meilleure chose à faire puisque de toute façon au stade où j’en étais, je n’avais pas le choix.

Le fameux jour de la 2ème prise de médicament, on m’installe seule dans une chambre. J’ai eu la chance de tomber sur des infirmières vraiment compréhensives qui venaient régulièrement prendre de mes nouvelles. À 8h, première prise du médicament, on m’informe qu’à 12h je prendrais une 2ème dose. L’infirmière me dit que ça risque d’être douloureux pour que « tout puisse descendre » (c’est à ce moment-là que tu commences à comprendre que l’amas de cellules annoncé au départ ne comprend pas que la descente du petit œuf que tu as vu sur l’échographie).

Au début j’ai réussi à m’endormir, j’avais certes des douleurs mais comme à chaque période de menstruation je vis un enfer, je trouvais les douleurs assez similaires. C’est lors de la prise de 12h que tout a commencée. Et à ce moment-là, j’ai compris que les professionnels de santé en charge de l’IVG, ont l’habitude de jouer des figures de style dans leur manière de présenter l’intervention : ici on note la surutilisation de l’euphémisme. Les maux de ventre sont en réalité des contractions qui dure pendant 3h, donc laissez-moi vous dire que la douleur était tellement forte que je me suis même évanouie en essayant de me lever pour appeler une infirmière. Et après avoir repris connaissance, j’ai senti descendre « l’amas de cellule ». Je me suis demandé si j’aurai le courage de me retourner pour regarder, c’était peut-être idiot mais j’avais peur d’y voir un semblant d’être humain. Alors j’ai regardé : pour vous faire une idée plus tranchée et plus vraie de ce que les infirmières appellent un « amas de cellule », ça ressemblait plutôt à un gros amas de boyaux. C’était consistant. Tout de suite après, j’ai tiré la chasse, même cet acte en lui-même était traumatisant et douloureux. Le fait de jeter quelque chose qui grandissait en moi aux toilettes et de tirer la chasse. J’avais l’impression de l’avoir trahi et même de m’être trahie et je ne comprenais pas pourquoi.

C’est ma belle-sœur enceinte qui est venue me chercher. Autant vous dire que psychologiquement, j’étais vraiment mais vraiment au bout de ma vie.

 

Une interruption qui ne s’arrête pas brutalement et qui a des conséquences :

Les conséquences physiques de mon IVG ne se sont pas arrêtées là. Pendant un mois j’ai eu des saignements tellement abondants que je suis même retournée à l’hôpital croyant faire une hémorragie. Et c’est là que je me suis rendu compte de la puissance assez dingue des médicaments qu’on m’avait donné et que j’ai commencé à me questionner à leur sujet. Vous vous rendez compte ? Le médicament, un véritable poison pour le corps de la femme qui vous diminue votre taux de fertilité et moi je me pose cette question après en avoir avalé à 3 reprises… Bravo, good girl. Niveau réflexion anticipée, on repassera…

En terme de conséquences psychologiques je suis passée par différents états. Ça a commencé avec la colère et l’agressivité. Je voulais plus entendre parler d’enfants ou de grossesse. Le champ lexical de la maternité me mettait en rogne, j’étais à fleur de peau.

Il y a eu aussi le déni. Je me suis mise encore plus à fond dans mon boulot pour ne plus y penser. Et là laissez-moi vous dire que si avant je bossais beaucoup, à ce moment-là, je ne vivais que pour mon travail, je n’avais plus de vie personnelle.

Je ne pouvais plus me retrouver seule chez moi, à cause des angoisses, car je ressentais un vide énorme en moi. Du coup, je sortais tous les soirs, je faisais la fête à outrance presque pour montrer à tout le monde que « j’allais hyper bien ». C’était l’enfer je n’avais plus d’équilibre et j’étais malheureuse. Je commençais à entrer dans un cercle vicieux et il m’a fallu poser énormément d’actions au moment où j’en avais le moins envie, pour m’en sortir.

J’ai mis énormément de temps à me reconstruire. Et la situation me rend toujours triste parce que je continue de me poser des questions. Est-ce qu’il/elle m’aurait ressemblé ? Comment serait ma vie aujourd’hui si je n’avais pas avorté ?

Et la douleur de me dire que c’est un enfant que je ne pourrais plus jamais avoir.

Le pire, c’est quand tu arrives à la date des 9 mois. Quand tu te dis : « je devrais être dans la période de mon accouchement présumé ». Là, c’est encore une sale période à vivre et j’ai serré les dents pendant plusieurs jours pour ne pas m’effondrer à nouveau.

J’ai eu une longue démarche pour pouvoir guérir de la douleur mais je pense que je ne rentrerais jamais dans l’acceptation et que cette douleur et ces regrets, je vais les porter toute ma vie.

 

Ce que j’ai compris aujourd’hui :

Je me sent victime de l’IVG. Ca peut sembler difficile à comprendre et pourtant, je pèse mes mots. Certaines associations essayent de démontrer sur les réseaux sociaux à grands coup d’articles qui prônent qu’un avortement, ce n’est rien du tout et que ça ne fait pas souffrir. Pour l’avoir vécu, je sais que c’est faux. Quand je vois de tels messages, j’ai l’impression qu’on minimise l’épreuve par laquelle je suis passée et par laquelle pas mal de mes amies sont passées. Personne n’est vraiment préparé et je ne l’étais pas non plus. Je faisais partie de ces femmes justement qui pensaient que l’avortement était un moindre mal, un droit à défendre. C’est quand j’ai vécu l’IVG que j’ai pu enfin comprendre les dérives de mes propres propos. Le fait que je participais moi-même à banaliser une intervention qui au final laisse des séquelles profondes.

Alors oui, je peux dire que toute femme de ma génération est victime de l’IVG, car l’image que nous en avions avant de le vivre a été directement conditionnée par une société qui nous montre une intervention sans gravité physique ou morale.

On nous parle de liberté d’expression, mais à quel moment ces mêmes femmes qui militent pour le droit à l’IVG comprennent les femmes qui ont souffert de l’avortement ? Communiquent sur ces femmes ? Ou essayent de faire en sorte de diminuer l’IVG par de la prévention plutôt que d’en faire la promotion ? Mon corps mon choix ? Mais à quel moment la souffrance devient-elle une liberté, si nous ne connaissons pas en amont les réels maux auxquels nous allons être confronté ?

Le terme même d’IVG est un mensonge. On parle d’Interruption volontaire de grossesse, mais quand on interrompt quelque chose, c’est que potentiellement on a la capacité de reprendre là où on s’est arrêté. A aucun moment vous ne pourrez reprendre la grossesse là où vous l’avez arrêté.

 

Pro-life, pro-avortement : un faux combat :

Le gouvernement lance des campagnes hyper marketing autour de l’IVG, montrant des femmes « épanouies d’avoir avorté » et une Laurence Rossignol sur fond de paradis qui parle aux femmes de droits et de liberté. Mais je peux vous dire une chose certaine: c’est que pour les femmes qui en ont souffert, cette campagne est insultante. Parce qu’en tant que femme qui le vit, la 1ère chose que tu veux pour tes consœurs, c’est avant tout de leur éviter de le vivre.

Je pense qu’aujourd’hui, la question de l’IVG en France ne devrait pas faire autant polémique. On devrait lutter tous ensemble pour faire plus de prévention et éviter le plus possible à des femmes de vivre les mêmes souffrances plutôt que de dire « Ton corps ton choix » et de faire de l’IVG un droit fondamental.

Ce que la femme doit savoir sur l’IVG c’est que potentiellement selon ce qu’elle va vivre, il y aura toujours une souffrance physique. La souffrance émotionnelle et psychologique ne sont pas mesurables d’une femme à une autre mais ce qui est sûr, c’est qu’il vaut mieux ne pas prendre le risque de se retrouver dans la situation qui te montrera que oui tu fais partie des femmes que ça touche violemment. Parce que pour certaines femmes comme moi on peut parler de dépression post-avortement.

Est-ce que je pensais pouvoir faire partie de ce genre de femmes ? Nan pas une seule seconde. J’ai du caractère, j’ai eu une vie avec beaucoup d’épreuves et psychologiquement parlant j’étais très dur et très forte. Mais vivre un IVG, c’est une épreuve à part. Pour la femme, c’est choisir d’aller à l’encontre de sa nature et de son corps qui est fait pour procréer (et non ce n’est pas un gros mot). Si ça vous arrive, n’hésitez pas à aller voir un psychologue tout de suite. Je n’y suis pas allée par fierté et je le regrette énormément. Ça aurait pu m’éviter pas mal de déboire, d’assumer le fait que j’avais un problème.

Courage à toutes les femmes qui guérissent encore de leur IVG <3 je suis avec vous par la pensée.

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