« J’avais peur de sa réaction, peur qu’il me juge » le témoignage de Justine sur son avortement

« J’avais peur de sa réaction, peur qu’il me juge » le témoignage de Justine sur son avortement

Justine* nous a confié l’histoire de son avortement et a tenu à la partager. Elle avait tout juste 17 ans. Une épreuve qu’elle n’a pas vécue sereinement, non seulement à cause de l’acte en lui-même, mais surtout à cause du regard des autres. Voici son témoignage :

 

“Cela faisait deux semaines que j’avais rencontré *Antoine. Cela ne faisait pas de doute : nous nous plaisions. Nous avions conscience de n’être l’un pour l’autre que des personnes de passages, car il repartait bientôt dans le sud. Cette histoire, nous l’avons vécu comme une amourette de vacances, mais cela ne nous a pas empêché de la vivre pleinement. Nous nous étions mis d’accord, si nous couchions ensemble se serait un « one shot ». Ni lui, ni moi ne souhaitions nous engager dans une relation longue distance. Et c’est ce qu’il s’est passé.  Quand nous l’avons fait, c’était vraiment un beau moment. Après le rapport, je me suis aperçue que le préservatif avait craqué mais  je n’ai pas paniqué. Il n’y avait pas de raison pour que ça vienne tout gâcher. Je me suis dit que ce n’était pas bien grave puisque je prenais la pilule de manière très rigoureuse. J’ai quand même décidé de me rendre à la pharmacie pour prendre la pilule du lendemain, histoire d’être sûre.

Après 1 mois et demi sans règle, je me souviens m’être dit que ce n’était pas normal, car je n’avais jamais eu de retard. Je me suis de nouveau allée à la pharmacie, sauf que cette fois c’était pour demander un test de grossesse. J’imaginais ce qu’elle pouvait penser de moi au moment de payer et je me souviens de la honte que j’ai ressentie.

J’étais tellement terrifiée à l’idée que ce test soit positif, que j’ai décidé de ne pas le faire tout de suite. Tant qu’on ne sait pas, rien n’est vraiment réel, me semblait-il, alors j’ai voulu profiter de ce moment d’ignorance. C’est mon amie, Lola* qui m’a convaincue de le faire le plus rapidement possible. Elle m’a accompagnée aux toilettes et a attendu avec moi près du test. L’attente était insupportable. Quand la réponse positive est apparue clairement, je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer. Je me suis mise à trembler, à paniquer, à angoisser…

Je me suis isolée pendant plusieurs heures dans ma chambre afin de faire de point sur la situation, mais trop de pensées se bousculaient dans ma tête ! Une fois le choc passé, je suis allée voir Lola pour en discuter. Elle m’a incité à en parler en premier à Antoine. J’avais peur de sa réaction, peur qu’il me juge (de quoi ? je l’ignore encore). Et tout simplement, je me disais que ça ne servait à rien ! On était rentré chez lui et avait convenu qu’on ne se reverrait plus. Le sujet était clos. En revanche, elle avait raison, je devais bien le dire à quelqu’un.

Je n’ai pu l’avouer qu’à ma mère, je n’osais pas en parler à mon père, j’avais encore une fois peur de sa réaction. Ma mère m’a rassuré, m’a dit que ma tante avait vécu la même chose dans sa jeunesse et que ça arrivait parfois. Il était évident pour moi, jeune fille de 17 ans, que je ne voulais pas et ne pouvais pas avoir d’enfants. Pas maintenant. Pourtant, je me suis renseignée.

Je me suis rendue à tous les rendez-vous du planning familial, mais n’y ai pas trouvé les réponses que je cherchais. Je ne me suis pas sentie épaulée ni même soutenue. Pourtant, la psychologue de l’établissement doit en voir passer des jeunes filles dans mon cas. Elle doit pouvoir trouver les mots pour nous rassurer, nous apaiser. Au lieu de ça, elle m’a convaincue de faire l’IVG, car à mon âge, ma situation de lycéenne ne convenait pas pour accueillir un enfant. J’aurai aimé qu’elle me donne d’autres choix que celui-là. Je me suis imaginée à la place de Juno, ce film dans lequel une ado tombe enceinte, et je me suis dit : « pourquoi n’aurais-je pas été capable de mener cette grossesse à terme et d’offrir mon enfant à un couple dans le besoin ? » L’idée s’est rapidement effacée de mon esprit pour laisser place à celle de l’IVG.

Suite à ces rendez-vous, j’ai décidé d’opter pour l’avortement par médicament plutôt que l’intervention chirurgicale. J’en ai parlé à mon CPE pour l’informer que je serais absente une journée. Je lui ai expliqué la situation et il l’a parfaitement comprise, attestant que je n’étais pas la première à rencontrer cette situation. Cela m’a vraiment fait du bien qu’une personne extérieure se montre aussi compréhensive.

J’ai donc pris le fameux médicament et c’est à partir de ce moment-là que la torture intérieure à commencé. Je n’étais clairement pas bien pendant la journée, j’avais l’impression de subir les symptômes de l’appendicite (je l’avais vécu quelques années plus tôt), je me tordais de douleur, j’en pleurais. J’ai saigné abondamment toute la journée quand tout à coup le soulagement, mais aussi l’horreur : je suis allée aux toilettes pour « évacuer » cette chose. C’était répugnant. Les toilettes étaient immaculées de sang et au fond de la cuvette je percevais une poche, ça m’a donné envie de vomir. J’ai tiré la chasse et suis repartie me coucher. La douleur s’est atténuée dans la soirée, mais je me sentais toujours vaseuse, comme un lendemain de soirée beaucoup trop arrosé.

Cette interruption volontaire de grossesse a été terrible sur le moment, mais aussi après. Moi qui avais été soutenue par mon amie Lola, par ma mère qui a été là pour me rassurer et le CPE, j’ai été ensuite confronté à la dureté du regard des autres et ça m’a dévasté !

Je m’explique : mes « amis » de l’époque n’ont pas su tenir leur langue au lycée et on répandu mon histoire à tout le monde… Pendant plusieurs semaines, je me suis fait chambrer. Déjà que je n’étais pas spécialement bien, mais j’ai dû en plus subir les jugements d’autres élèves ainsi que des surveillants de l’établissement. Il y avait des moqueries et parfois même des violences physiques (baffes, coup d’épaule et j’en passe). J’ai été très déçue par la réaction de toutes ces personnes, qu’on puisse me juger aussi durement pour une erreur sexuelle. J’ai eu le sentiment de perdre foi en l’humanité, car ce n’est pas l’image que je m’en faisais.

Alors vous me direz « peu importe, passe au-dessus, ils ne comprennent rien, ils sont idiots », mais j’avais 17 ans, je venais de vivre une IVG (ce qui est assez difficile à encaisser à mon sens), j’avais été trahie par mes « amis » les plus proches et jugée par des adolescents, mais aussi par des adultes. Suite à ça, je me suis isolée pendant plusieurs mois avant de pouvoir être de nouveau joviale comme je l’avais toujours été. Aujourd’hui, le malaise est passé, mais je ne cesse d’y repenser, « si j’avais fait ça? Si j’avais répliqué ça à ces idiots ou aux pions ?

Plus jeune, je me sentais coupable, aujourd’hui, plus du tout. J’avoue ne pas toujours assumer de l’avoir vécu, pourtant je sais qu’il n’y a pas de honte à ça ! L’esprit est parfois contradictoire. Le plus important pour le vivre au mieux est de bien s’entourer. La famille est un pilier important pour notre soutien moral et si le partenaire nous soutien aussi, nous comprend ou au moins essaie de nous comprendre, je pense que l’on vit plus facilement l’intervention. »

* le prénom a été modifié

 

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